Un monde de fou
COUPECHOUX, Patrick. Un monde de fou : comment notre société maltraite ses malades mentaux. Editions du Seuil, 2006. 363 p.
Patrick Coupechoux est journaliste au Monde Diplomatique. Il est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages dont un sur l'autisme paru en 2004. "Un monde de fou" est le résultat d'une année d'enquête dans le milieu de la psychiatrie française. L'auteur retrace les grandes lignes de l'histoire de la folie depuis le "grand renfermement" décrit par Foucault en passant par le sort réservé aux malades mentaux par les nazis et la volonté après la seconde guerre mondiale de proposer une psychiatrie au service de tous; les conditions de vie parfois sordides des malades sont dénoncées. Cependant cette idée généreuse doit faire face à une crise économique qui débute dans les années 70, dans les année 80 c'est près de 40 000 lits qui sont ainsi supprimés dans le secteur psychiatrique. A cela s'ajoute une précarité grandissante, l'hôpital public est confronté à une misère terrible : toxicomanie, alcoolisme, pauvreté et souffrance psychique sont en augmentation. Les acteurs du monde psychiatrique sont en nombres insuffisants et doivent travailler dans des conditions difficiles avec peu de moyen. Autre constat inquiétant, beaucoup de personnes psychotiques sont livrées à elles-mêmes et vivent dans la rue, ces personnes sont souvent dans le déni de leurs troubles et ne sont pas facilement accessibles. Si beaucoup de "fous" vivent dans les rues, beaucoup se trouvent aussi en prison. Bien que considérés comme irresponsables, on trouve des personnes complètement délirantes enfermées avec des délinquants. Mais faute de suivi et par souci sécuritaire, on préfère les laisser là. Sur représentés dans les prisons, les malades mentaux ne sont pourtant pas plus dangereux que le reste e la population.
L'auteur aborde également la notion de "santé mentale". De plus en plus la population est confrontée à la souffrance psychologique (dépression, anxiété, stress,...). Aujourd'hui il y a une sorte d'obligation de tout réussir, sa vie familiale, professionnelle, amicale... Cette pression à laquelle s'ajoute une société de plus en plus individualiste est source d'insatisfaction. On assiste à une véritable idéologie de "management". Tous les individus, dés l'enfance, sont soumis à un monde compétitif; ce "darwinisme social" laisse les plus faibles sur le carreau. La tendance générale est à la psychiatrisation des problèmes sociaux, chaque individu étant considéré comme responsable de son bonheur. Cette tendance permet ainsi à la société de se déresponsabiliser. Enfin Coupechoux dénonce les dérives de ce qu'on appelle la bio-psychiatrie. Celle-ci vient principalement des États-Unis et connaît un succès grandissant en Europe. Le risque de la bio-psychiatrie est qu'on ne tienne plus compte de l'histoire et de la personnalité des individus, ceux-ci n'étant plus que des troubles à soigner comme on peut soigner une grippe.
J'ai trouvé "Un monde fou" passionnant à lire, déjà le parti pris de l'auteur est intéressant. Engagé, son livre se veut une critique de la société actuelle. Et la démonstration est assez convaincante. En rappelant toute l'évolution de la psychiatrie, il nous montre que l'image de la folie et son traitement sont influencés par l'idéologie véhiculée par la société. Si je devais émettre des points négatifs concernant le livre, je soulignerais la manière parfois un peu caricaturale dont l'auteur présente les choses, notamment quand il parle de la bio-psychiatrie; une fois de plus c'est le débat sur la psychanalyse qui refait surface, comme si en dehors de celle-ci il n'y avait rien pour la remplacer ou la compléter. Assimiler par exemple les thérapies cognitives et comportementales à du dressage est excessif et inexact. Ces dernières ont fait leurs preuves, notamment dans le traitement des TOC, des phobies et de la dépression. Mais en dehors de ces débats, non définitivement tranchés, on ne peut qu'être alarmé par l'abandon des malades mentaux qui ont pourtant besoin d'une attention toute particulière.