Le Procès
KAFKA, Franz. Le Procès. Galimard, 1957.432 p. Coll. Le livre de poche.
Si d'affreux censeurs entraient un jour chez moi pour brûler ma bibliothèque tout en m'autorisant à ne garder qu'un seul livre, c'est Le Procès que je garderais. Le Procès est le livre le plus singulier que je connaisse (toute l'oeuvre de Kafka est du même acabit). L'univers de Kafka est à mon sens celui qui se rapproche le plus du rêve et du cauchemar. C'est un monde semblable au nôtre mais dans lequel le héros est en décalage permanent par rapport à celui-çi. Dans Le Procès, Joseph K est arrêté pour un motif qu'il ne connaît pas; ce n'est pourtant ni un rebelle ni un marginal, au contraire il cherche à tout prix à se montrer conciliant et essaye de comprendre ce qui lui arrive. Il évolue soudainement dans un monde dont le sens lui échappe et qu'il ne reconnaît plus vraiment. C'est non seulement déroutant mais angoissant. La solitude de K est touchante et effrayante, quoiqu'il fasse le lien qui l'emprisonne ne fait que se resserrer et toutes les tactiques qu'il essaye de mettre en place pour s'expliquer se retournent contre lui. Cet univers est étrange, impersonnel, vide, les rapports humains vrais et profonds semblent ne pas exister; les individus se parlent et se croisent sans se comprendre et cela tourne pratiquement tout le temps en malentendus. Il y a dans Le Procès des scènes vraiment étranges, par exemple au début du récit les policiers se rendent chez K pour lui signifier son arrestation; dans l'immeuble d'en face deux voisins l'observent avec obstination et ce malgré la fureur grandissante de K, cette scène est réellement oppressante.
Kafka était lui-même un personnage curieux. Dans la correspondance qu'il échange avec Milena Jesenska (une journaliste tchèque qui souhaitait traduire ses textes et dont il tombe amoureux) il se dénigre souvent et se plaint sans cesse de toutes sortes de maux, il était vraisemblablement hypocondriaque. On le sent perpétuellement insatisfait et un brin masochiste. Cette insatisfaction le rendait extrêmement critique par rapport à son travail. Il avait demandé à son ami Max Brod de détruire ses textes à sa mort, heureusement ce dernier par amitié et admiration ne réalisera pas ce souhait. Malgré ce caractère tourmenté, Kafka avait beaucoup d'humour et bien que réservé il amusait beaucoup ses amis. Kafka est non seulement l'auteur que je préfère mais celui qui me parait le plus familier et que j'aurais aimé rencontrer (ce qui n'est pas spécialement le cas pour d'autres écrivains). Bref, Le Procès est un livre magnifique, simple dans son écriture mais d'une remarquable complexité par les réflexions qu'il suscite, ce qui fait de ce récit un vrai chef-d'oeuvre.
source : KAFKA, Franz. Lettres à Milena. Gallimard, 1988. 350 p. Coll. L'imaginaire